Une proposition pour l'origine et la signification du nom "Aron"
par Thierry BORDEAU
Octobre 2015. C'est lors d'une promenade dominicale dans la commune mayennaise, il y a un an, que la question m'est venue à l'esprit : d'où la rivière, et, par ricochet, le village d'Aron, tenaient-ils leur nom ?
Une recherche documentaire, basée principalement sur les travaux de Xavier Delamarre (1), me permit d'apprendre que la majeure partie des noms des cours d'eau ainsi que ceux des montagnes et des collines, puisait son origine dans la langue des populations pré-celtiques, c'est-à-dire chez les gens qui vivaient de l'époque Néolithique à celle de l'âge du Bronze, soit dans une fourchette large comprise entre - 4500 et - 2000 ans avant J.-C.
Selon les résultats d'une étude scientifique internationale, achevée en 2015, portant sur la composition de l'ADN fossile de squelettes anciens, il apparaît que l'Europe occidentale fut habitée en grande partie par des peuples issus de la steppe eurasiatioque, soit, globalement, la région située au nord de la mer Noire. Ces populations seraient arrivées dans nos contrées selon deux axes géographiques distincts : d'une part la vallée du Danube, qui traverse l'Europe d'est en ouest, et, d'autre part, après une implantation en Scandinavie, en rejoignant la façade Atlantique et en y incluant les îles Britanniques.
Ce fut, semble-t-il, une multitude de peuples ou de tribus, autonomes et indépendants, mais partageant néanmoins des croyances et, surtout, une langue commune, qui se serait installée sur nos terres, probablement en assimilant les populations indigènes antérieures, celles qui avaient érigé les monuments mégalithiques.
Cette langue commune, ce qui n'exclue pas des variations régionales, explique pourquoi nous retrouvons aujourd'hui le nom "Aron" assez largement répandu en Occident, de l'Italie au Pays-de-Galles et des Pyrénées à la Lituanie.
Ces peuples issus du Caucase, au terme de leur migration, sont devenus sédentaires et ont évolués au sein d'une société très hiérarchisée. Ils pratiquaient principalement l'agriculture et l'élevage, étaient également commerçants, mais, surtout, vouaient une très grande admiration au monde de la guerre en entretenant, entre autres, le mythe des héros. Les archéologues, en étudiant les vestiges de cette période, distinguent deux grandes cultures installées en Europe occidentale à ces époques lointaines. Dans un premier temps, les peuples dits "de la Céramique cordée", du nom de la généralisation d'un procédé de fabrication des poteries qui incluait l'impression d'une cordelette dans l'argile crue et qui donnait, après cuisson, un décor de rayures horizontales. Puis, leur succédant dans le temps, les peuples dits "Campaniformes", du fait que ce diffuse, dans toute l'Europe, l'habitude d'utiliser des poteries en forme de cloches retournées.
Selon Jacques Freu (2), ce serait donc ces populations, dites de la Céramique cordée, qui auraient donné leurs noms à nos montagnes et à nos cours d'eau. Depuis plus de quatre siècles, les savants se sont aperçu que la majorité des langues parlées en Asie et en Europe dérivait d'une racine commune qu'ils ont dénommé "l'indo-européen". Ils ont effectué des comparaisons, rédigé des dictionnaires. J'ai donc recherché, en me penchant sur une infime partie de ces études, une origine et une signification au nom "Aron". Ce ne fut pas sans mal. "Aron" ne figurait pas au vocabulaire latin, bien qu'un "Arona" existe encore aujourd'hui à proximité de Rome... Il n'appartenait pas non plus aux langues celtiques. La question resta donc un certain temps sans réponse.
C'est alors qu'une coïncidence me mit sous les yeux les paroles d'un maître spirituel indien très célèbre au 20e siècle, Ramana Maharshi. Ce dernier expliquait à ses auditeurs la signification du nom d'une montagne sacrée de l'Inde qu'il affectionnait par dessus-tout : Arunãchala. Il la décomposait en deux parties : -ãchala qui signifie en sanskrit "montagne, colline", et surtout Aruna- qui signifie "rouge feu" mais qui n'était pas, cependant, le rouge ordinaire de la chaleur, mais celui, plus abstrait, de la connaissance et du savoir, une "sagesse ardente" en quelque sorte...
La langue sanskrite, utilisée et écrite en Inde, dérive également de la langue indo-européenne initiale. Je pouvais donc, par analogie, en déduire que notre rivière Aron pouvait signifié dans la langue des peuples de la Céramique cordée, "la rivière rouge", avec peut-être un sens plus allégorique qu'effectif.
Je me souvins alors d'avoir été étonné, il y a quelques années, par un ruisseau à la coloration brun-rougeâtre, pigmenté par une suspension naturelle d'oxyde de fer, à proximité de la commune de Port-Brillet, en Mayenne également. Une promenade le long du cours de l'Aron m'a révélé, au début du mois d'août dernier, un écoulement similaire d'oxyde de fer sur le flanc de la rivière. Il n'y en avait pas assez pour colorer l'eau de manière générale, mais il est possible qu'à certaines périodes et à certains endroits, ce dépôt orangé ait pu servir à qualifier le nom de ce cours d'eau.
Une observation des environs de la source de l'Aron apporterait peut-être davantage de précisions.
En conclusion, je propose donc pour le nom "Aron" une origine apparue à l'époque des peuples de la Céramique cordée et/ou Campaniformes, entre - 3000 et - 2000 avant J.-C., qualifiant un cours d'eau de "rouge-orangé", mais avec, peut-être, la connotation spirituelle et imagée d'une "dispense du feu ardent de la sagesse"
Il m'a été suggéré depuis un rapprochement avec le nom anglais du fer, "iron", qui semble à priori, fort à propos, mais, malheureusement, mes connaissances en linguistique sont trop ténues pour que je puisse confirmer cette association. Peut-être que des spécialistes pourraient répondre à cette question ?
Enfin, on m'a également évoqué l'anthroponyme biblique Aron (ou Aaron), mais, dans ce cas, il ne semble avoir qu'une similitude purement phonétique. Le prénom Aron est issu d'une langue sémitique (Proche-Orient) non apparentée à la souche indo-européenne et dont l'apparition en Europe ne pourrait être que postérieure à la mise en place des noms de sommets et de rivières, ce qui, vu sa répartition abondante dans nos contrées, écarte vraisemblablement tout rapprochement.
Le développement de ma recherche (21 pages) est disponible ici
1 - DELAMARRE (Xavier), Dictionnaire de la langue gauloise. Une approche linguistique du vieux-celtique continental. Préface de P.-Y. LAMBERT, Collection des Hespérides, deuxième édition revue et augmentée, éditions Errance, Paris, 2003.
2 - FREU (Jacques), Les Indo-Européens et l'indo-européen : essai de mise au point, Antiquitatis-Notae, bulletin des sciences antiques du monde méditerranéen, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, (juin 2005).